top of page

L'affaire du Watergate

Texte provenant de wikipédia.

Le scandale du Watergate est une affaire d'espionnage politique qui aboutit, en 1974, à la démission de Richard Nixon, alors président des États-Unis. L'affaire aux multiples ramifications commence en 1972 avec l'arrestation, à l'intérieur de l'immeuble du Watergate, de cambrioleurs dans les locaux du Parti démocrate à Washington. Les investigations menées par des journalistes et une longue enquête du Sénat américain finiront par lever le voile sur des pratiques illégales de grande ampleur au sein même de l'administration présidentielle.

Bien que le cambriolage semble avoir été mené par d'anciens employés de la Maison-Blanche, l'affaire ne fait, dans un premier temps, que très peu de bruit. En apparence, l'enquête du FBI ne va pas loin. Cependant, deux journalistes du Washington Post, aidés par un mystérieux informateur surnommé Deep Throat (« gorge profonde »), publient de nombreuses révélations, en particulier sur les liens des cambrioleurs avec la Présidence et sur les financements irréguliers de la campagne de Richard Nixon. Ce dernier est néanmoins confortablement réélu en novembre 1972.

 

L'année suivante, l'obstination du juge John Sirica et la mise en place d'une commission d'enquête sénatoriale resserrent de plus en plus l'étau autour des collaborateurs du Président. Une série de révélations portant sur des cas d'obstruction à la justice et d'abus de pouvoir mènent à des inculpations. Le public américain s'intéresse davantage à l'affaire avec la retransmission à la télévision des auditions du Sénat sur le Watergate. Lorsque l'existence d'un système d'écoute dans la Maison-Blanche est rendue publique, un bras de fer s'engage entre Nixon et les enquêteurs à propos de la restitution des bandes magnétiques des enregistrements. L'implication du Président se précise. Quand le Congrès en vient à engager la procédure d'impeachment, visant à la destitution du chef de l'État, Nixon se résout à démissionner.

 

L'enquête du Washington Post

Le Washington Post est l'un des rares journaux à suivre le déroulement de l'enquête sur le cambriolage. Au cours de l'enquête, le New York Times lui emboîte le pas.

Le rédacteur en chef du Washington Post, Benjamin Bradlee, met sur cette affaire deux jeunes journalistes à temps plein : Bob Woodward, ancien officier de l'US Navy jusqu'en 1970, et Carl Bernstein, qui a déjà douze ans de journalisme dans la presse écrite derrière lui. Intrigués par de nombreux éléments, ces derniers démêlent un écheveau compliqué dont tous les fils conduisent à la Maison-Blanche à travers le Comité pour la réélection du président. Ils utilisent beaucoup le téléphone, n'hésitent pas à contacter des centaines d'interlocuteurs pour recouper leurs informations, suivant des pistes apparemment non explorées par la justice. Dès le début de l'affaire, Woodward reçoit des informations essentielles de la part de son informateur au FBI, surnommé « Gorge profonde » (Deep throat), Mark Felt.

Prenant des précautions extrêmes pour rencontrer Woodward, il l'aide à décrypter les rôles des protagonistes et les enjeux, d'une façon parfois sibylline. Gorge profonde indique les éléments à creuser, mais oriente les journalistes plus qu'il ne les guide, par exemple sur la piste de l'argent, résumé par cette formule : « Suivez l'argent » (« Follow the money »). Ce n'est qu'en 2005, un peu avant sa mort, que Mark Felt, no 2 du FBI au moment des faits, révèlera être ce mystérieux informateur.

Rapidement, des sources policières les informent que les hommes arrêtés au Watergate venaient de Miami, étaient équipés pour mener une opération d'espionnage et disposaient de milliers de dollars en cash. Ils ne se contentent donc pas des explications de la Maison-Blanche, selon laquelle cet incident est « une tentative de cambriolage de troisième catégorie ». Dès le lendemain de l'arrestation, Woodward découvre les liens entre les cambrioleurs, Hunt, la CIA et l'administration Nixon.

Un coup de fil à la Maison-Blanche lui apprend que Hunt a travaillé pour Charles Colson, conseiller spécial du président.

Dans les jours qui suivent, Woodward et Bernstein apprennent que trois des hommes arrêtés étaient à Washington trois semaines plus tôt lorsque les bureaux d'avocats démocrates de renom ont été cambriolés, que McCord avait fait une demande de carte de presse universitaire donnant accès à la convention démocrate, que Hunt a créé 150 comités électoraux fantômes pour canaliser des millions de dollars de contributions secrètes, et d'autres faits troublants.

Par Jim Wallace (Smithsonian Institution) — Flickr: Bob Woodward, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=19745658

Bob Woodward en 2007.

Alors que l'enquête semble piétiner courant juillet, le New York Times publie un article affirmant que l'un des cambrioleurs, Bernard Barker, a téléphoné plusieurs fois à Gordon Liddy la veille de l'effraction au Watergate. Bernstein se fait confirmer cette information par un de ses contacts à la compagnie de téléphone Bell, qui lui indique que le registre des appels a été réquisitionné par le procureur local de Miami, qui mène sa propre enquête pour savoir si les cambrioleurs ont contrevenu aux lois de l'État de Floride. En appelant ce dernier, il apprend que plus de 100 000 dollars provenant d'une banque mexicaine ont transité par le compte bancaire de Barker à Miami. Le Times sort cette information alors que Bernstein se rend à Miami pour approfondir son investigation. Les éléments qu'il recueille sur place lui permettent de savoir que l'un des chèques déposé sur le compte de Barker a été signé par l'un des dirigeants de l'équipe de campagne de Nixon en 1968. Le Washington Post fait part de ces découvertes dans son édition du 1er août en ajoutant, après avoir appelé l'émetteur du chèque, que celui-ci a été remis à Maurice Stans, ancien secrétaire du Commerce, et directeur financier du CRP38.

Peu après l'inculpation, le 15 septembre, des cambrioleurs, de Hunt et de Liddy, le Washington Post soutient dans un article : « En dépit de tous les efforts de l'administration et du comité de campagne de Nixon pour accumuler les couvercles sur ce tas de saletés, toute cette affaire pue. » Woodward et Bernstein essaient d'en savoir plus notamment auprès de divers employés du CRP, malgré leurs réticences à parler. Les deux journalistes ont élargi l'angle de leurs recherches en considérant que le Watergate n'est qu'une opération clandestine parmi d'autres. Le 29 septembre, ils écrivent que Mitchell, lorsqu'il était attorney general, contrôlait un fond secret dédié au financement d'opérations contre les démocrates. Le 10 octobre, ils citent un rapport du FBI, selon lequel le Watergate fait partie « d'une campagne massive d'espionnage et de sabotage politique dirigée par des hauts-fonctionnaires de la Maison-Blanche et du CRP ». En outre, les journalistes indiquent que le budget de ces opérations était contrôlé par Mitchell et ses subordonnés.

Six jours plus tard, le Washington Post poursuit ses révélations en affirmant que Herb Kalmbach, l'avocat personnel de Richard Nixon, a financé plusieurs opérations d'espionnage et de sabotage contre des candidats démocrates. Par ailleurs, écrivent les journalistes, Donald Segretti , un jeune avocat californien qui a participé à ces opérations, a avoué aux enquêteurs qu'il en faisait le rapport aux assistants de Bob Haldeman, chef de cabinet de la Maison-Blanche. Bernstein a appris que Segretti menait en 1971-1972 des actions consistant à infiltrer et désorganiser le camp démocrate en diffusant de fausses nouvelles, et qu'il est à l'origine de la Canuck Letter qui couta à Edmund Muskie l'investiture démocrate.

Le 25 octobre, c'est au tour de Haldeman d'être cité comme utilisateur de fonds secrets au nom du président pour organiser des activités illégales. Toutefois, bien que cette assertion soit confirmée plus tard, elle est prématurée à ce moment-là, aucune déposition dans l'enquête en cours n'ayant formellement mise en cause Haldeman. Le Washington Post essuie une avalanche d'attaques verbales féroces de la part des partisans de Nixon. Le porte-parole de la Maison-Blanche Ron Ziegler qualifie les enquêtes de Woodward et Bernstein de « journalisme de camelote », et accuse le journal de « tentative d'assassinat politique ».

Malgré tout, Woodward et Bernstein (surnommés Woodstein), à force d'opiniâtreté, suivis par d'autres confrères, parviennent à éclairer l'affaire, avant qu'elle soit traitée par la justice américaine, puis par une commission d'enquête sénatoriale indépendante. C'est l'un des cas les plus évidents, dans l'histoire américaine, de l'influence du « quatrième pouvoir », et une référence pour le journalisme d'investigation. En 1973, Woodward et Bernstein recevront le prix Pulitzer pour leurs investigations sur l'affaire du Watergate. Mais pour l'heure, en cette fin d'année 1972, ces révélations n'ont pas ou peu d'écho, et n'empêchent nullement la réélection triomphale de Nixon en novembre. Cependant, la presse nationale est bien plus critique envers Nixon lorsque, peu après son élection, des fuites indiquent que ce dernier a pour projet de réformer radicalement l'administration et le fonctionnement du Congrès, ce qui aurait pour conséquence un affermissement du pouvoir de l'exécutif aux dépens du législatif. En décembre, alors que les négociations à Paris avec les Nord-Vietnamiens piétinent, les bombardements massifs de Hanoi et Haiphong, qualifiés de « tactique de l'âge de pierre », suscitent également de vives réprobations.

Le procès des cambrioleurs.

 L'ouverture du procès des sept inculpés a été fixée au 8 janvier 1973. Entre-temps, en décembre, Hugh Sloan, trésorier du Comité pour la réélection du président, a publiquement confirmé le lien entre les contributions illégales et la tentative de cambriolage du Watergate, tandis que le Washington Post a publié l'interview d'une ancienne secrétaire de la Maison-Blanche révélant l'existence de ce que l'on appellera plus tard le « groupe des plombiers » (car ils doivent colmater les fuites), une unité chargée d'opérations clandestines pour le compte de la présidence, et auxquels appartiennent Howard Hunt et Gordon Liddy.

Le juge du district de ColumbiaJohn Sirica, réputé républicain et sévère, préside le procès des cinq cambrioleurs, ainsi que celui de leurs chefs, Hunt et Liddy. Ce que ne savent pas le jury et la presse, c'est qu'ils ont convenu, avec John Dean et Charles Colson, conseillers de Nixon, de plaider coupables, afin de couper court à un procès potentiellement explosif. En contrepartie, ils reçoivent la promesse de compensations financières et d'une amnistie. Néanmoins, Hunt et McCord montrent des signes de fébrilité, le premier reprochant à Colson de ne pas procurer un soutien financier suffisant, et le second supportant mal l'idée d'aller en prison alors que les vrais responsables ne sont pas inquiétés. Hunt, Barker, Sturgis, González et Martínez plaident coupables et sont libérés sous caution. Le procès se poursuit avec Liddy et McCord, mais ceux-ci restent rigoureusement mutiques. Le 30 janvier, le jury les reconnaît coupables et ils sont à leur tour libérés sous caution en attendant l'audience de condamnation fixée au 23 mars. Irrité par l'attitude des inculpés, le juge Sirica commente : « Je n'ai toujours pas la conviction que les faits pertinents qui auraient pu être rassemblés ont été soumis au jury. ».

Une semaine auparavant, l'accord de cessez-le-feu au Viêt Nam avait enfin été signé à Paris. Nixon est alors au faîte de sa popularité. Mais bientôt, un coup de tonnerre va marquer le tournant de l'affaire: celle de sa transformation en scandale national. Car finalement, l'un des accusés, James McCord, écrit au juge Sirica une lettre dans laquelle il affirme s'être parjuré devant le tribunal, à cause de pressions émanant de la Maison-Blanche, et indique que de hauts responsables sont impliqués. Sirica rend publique cette lettre le jour de l'audience du 23 mars. Le juge disjoint son cas de celui des autres inculpés auxquels il inflige des peines très lourdes (mais non définitives) : 35 ans de prison pour Hunt, 20 ans pour Liddy, 4 ans pour les autres. Il s'agit clairement de les inciter à parler en échange de condamnations plus légères. « Si vous décidez de parler librement, j'en tiendrai compte en fixant la peine qui sera finalement imposée à chacun de vous », leur dit-il.

La commission d'enquête sénatoriale

Dès la mi-janvier 1973, sur proposition de Ted Kennedy, la majorité démocrate du Sénat décide de créer une commission d'enquête parlementaire sur les abus commis par les républicains lors de la campagne électorale de 1972 (une loi règlementant ces financements avait été adoptée en 1971). La commission sénatoriale, dirigée par Sam Ervin, sénateur démocrate de Caroline du Nord, est mise en place le 7 février sous le nom de Select Committee on Presidential Campaign Activities, avec les démocrates Herman Talmadge (Géorgie), Joseph Montoya (Nouveau-Mexique), Daniel Inouye (Hawaï), et les républicains Howard Baker (Tennessee), Edward Gurney (Floride), et Lowell Weicker (Connecticut). Ils sont assistés par les conseillers Sam Dash (démocrate) et Fred Thompson (républicain). La commission d'enquête sénatoriale peut mettre en œuvre des subpoena, c'est-à-dire des citations à comparaître, qui peuvent éventuellement déboucher sur des poursuites par une juridiction en cas de parjure devant la commission d'enquête, ou si un quelconque acte illégal est révélé. Elle peut également exercer un droit de réquisition pour obtenir des dossiers et des documents. Les premières audiences commencent le 17 mars 1973.

Bien qu'il se dise prêt à coopérer, Nixon ne tarde pas, au nom de la séparation des pouvoirs et de la protection de la sécurité nationale, à opposer à la commission sénatoriale le « privilège de l'exécutif ». En clair, il se réserve le droit de refuser l'autorisation d'interroger tel ou tel membre de la Maison-Blanche. Cette conception des principes constitutionnels annonce un bras de fer entre la présidence et le Congrès. Le 12 mars, Nixon déclare qu'il n'a pas d'explication à donner quant à l'utilisation de ce privilège. Sam Ervin rétorque aussitôt qu'il n'hésitera pas à demander l'arrestation pour outrage au Congrès de tout membre de la Maison-Blanche qui refuserait de comparaître devant la commission, et il ajoute : « Je maintiens que ce privilège ne peut être invoqué pour couvrir des méfaits ». Les grands médias abondent dans son sens. Lors de la conférence de presse du 15 mars, pour la première fois, Nixon est assailli de questions sur le Watergate, mais il campe sur ses positions.

Parallèlement, à partir du 28 février, le Sénat auditionne le directeur du FBI Patrick Gray, qui depuis le décès d'Edgar Hoover en mai 1972, n'a pas été confirmé définitivement à son poste comme le souhaite Nixon. Pour cela, son passage devant la commission judiciaire du Sénat (distincte de celle qui enquête sur le Watergate) est obligatoire, et les sénateurs l'attendent au tournant à propos de la façon dont le FBI a mené l'enquête sur le Watergate. Dès la première audition, Gray admet spontanément avoir transmis 82 procès-verbaux d'enquête à John Dean, le conseiller juridique du président.

Par Oliver F. Atkins — White House Photo, NLRN-WHPO-E0398-20A. https://catalog.archives.gov/id/194495Series: Nixon White House Photographs, 1/20/1969 - 8/9/1974Collection: White House Photo Office Collection (Nixon Administration), 1/20/1969 - 8/9/1974, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=114349

John Dean

Par ailleurs, le 6 février, Gray fournit aux sénateurs des documents qui confirment les thèses du Washington Post sur la rémunération par Herb Kalmbach des opérations de sabotage politique de Donald Segretti. Au cours des quatre semaines d'audition, Gray lâche d'autres informations embarrassantes, comme le fait que Dean était présent lors des interrogatoires de membres du CRP, ou encore qu'il a probablement menti au FBI en affirmant que Hunt n'avait jamais eu de bureau à la Maison-Blanche. Les sénateurs démocrates s'inquiètent de l'indépendance du FBI, et le démocrate Robert Byrd va jusqu'à déclarer : « La politisation du FBI équivaut à organiser une Gestapo américaine ». La commission sénatoriale souhaite en conséquence interroger John Dean, mais Nixon s'y oppose au nom du privilège de l'exécutif. En réponse, les sénateurs, décident de ne pas se prononcer sur la nomination de Gray tant que Dean n'a pas comparu devant eux. Nixon renonce alors à la nomination de Gray.

Le 28 mars, James McCord est auditionné à huis clos par la commission sénatoriale sur le Watergate. Il en ressort la confirmation que le Watergate n'était qu'un élément d'une vaste opération d'espionnage politique dirigé depuis la Maison-Blanche. Quelques jours plus tard, Bob Haldeman est mis en cause. Des leaders républicains, comme Barry GoldwaterGeorge H. W. Bush ou Gerald Ford, commencent à exprimer publiquement leur inquiétude.

Révélations et démissions en cascade.

La Commission sénatoriale parvient, au cours d'une instruction qui dure près d'un an et demi (mars 1973-juillet 1974) à la conclusion que certains proches de Richard Nixon ont été coupables d'obstructions à la justice, faux témoignages, écoutes clandestines (dont le but était l'espionnage d'adversaires politiques ou de connaître l'origine et le contenu d'éventuelles fuites), détournements de fonds, etc. L'enquête démontre que ce type de pratiques, qualifiées de dirty tricks (« sales ruses ») ou mindfucking (« baiser les esprits »), ne s'est pas résumé à des cas isolés et ont été organisés en système. Au cours de l'enquête, trois témoignages successifs sont des grands tournants du scandale, de véritables bombes. Le premier a été celui de James McCord, le cambrioleur et ancien de la CIA, qui a révélé l'existence d'une équipe d'espions au service de la Maison-Blanche. Le deuxième est celui de John Dean, le conseiller juridique de la présidence, qui révèle, en juin, que les conspirations se sont tramées dans le Bureau ovale. Le troisième est celui d'Alexander Butterfield, haut fonctionnaire de la Maison-Blanche, qui révèle en juillet qu'un système d'écoute secret pourrait permettre d'en savoir plus.

Les responsables se mettent à table.

Le 14 avril, John Dean et Jeb Magruder commencent à parler devant le grand jury fédéral, dans le cadre du procès des cambrioleurs. Leurs déclarations sont compromettantes pour John Mitchell (ancien président du CRP), Bob Haldeman (chef de cabinet de Nixon) et John Ehrlichman (conseiller aux affaires intérieures de Nixon). L'étau se resserre et la tension ne cesse de monter à la Maison-Blanche, où les informations sur le procès remontent via l'attorney general Richard Kleindienst. Nixon hésite sur la stratégie à adopter et sur les personnes qu'il convient de sacrifier pour éviter que la situation n'empire ; il s'empêtre de plus en plus dans les contradictions de ses mensonges. Le 17 avril, il consent enfin à ce que ses conseillers puissent être auditionnés par la commission sénatoriale sur le Watergate. Dean envoie alors un communiqué de presse de son propre chef : « Je ne veux pas devenir le bouc émissaire de l'affaire du Watergate », écrit-il. Dans les coulisses, Nixon avait tenté de faire rédiger par Dean un pseudo-rapport de l'enquête interne que le président avait évoqué mais qui n'avait jamais existé, ce qui aurait compromis plus gravement son conseiller juridique.

Howard Hunt se met lui aussi à parler. Il raconte ainsi que la première « équipe de plombiers » de la Maison-Blanche (dirigée par Egil Krogh, un ancien assistant d'Ehrlichman), a cambriolé, en septembre 1971, le bureau du psychiatre de Daniel Ellsberg. Ce dernier est alors en cours de jugement à Los Angeles, accusé par le gouvernement de vol et de conspiration dans l'affaire des Pentagon Papers. Ces éléments sont portés à la connaissance de la défense d'Ellsberg le 26 avril59. Plus tard, le FBI admet que l'inculpation d'Ellsberg a pu être obtenue grâce à des écoutes téléphoniques illégales. Le juge de Los Angeles estime que la violation des droits du prévenu rend impossible la poursuite du procès, et toutes les charges contre Ellsberg sont abandonnées le 11 mai60. Les enquêteurs parviennent par ailleurs à déterminer que la première « équipe des plombiers » a été, lors de l'accident de Chappaquidick en 1969, immédiatement dépêchée sur place pour enquêter sur les déboires de Ted Kennedy.

Le 27 avril, le directeur du FBI par intérim Patrick Gray démissionne, après avoir admis qu'il a détruit des documents compromettants provenant du coffre-fort de Howard Hunt à la Maison-Blanche, qui lui ont été remis par John Dean peu après l'arrestation du Watergate. D'après lui, ces documents comprenaient de faux câbles fabriqués par le conseiller spécial Charles Colson, destinés à faire croire à la complicité de John Kennedy dans l'assassinat en 1963 du président

La garde rapprochée tombe

Ehrlichman et Haldeman, peu avant leur démission en avril 1973.

Le 30 avril, Bob Haldeman et John Ehrlichman démissionnent, à la demande du président. Ils étaient surnommés ensemble « le mur de Berlin », à cause de leur tendance à faire barrage autour du président en écartant des collaborateurs ou visiteurs. Ils étaient les deux principaux conseillers de Nixon ; Haldeman était son collaborateur depuis 1952 et aime à dire de lui-même qu'il est « le salopard du président » (« the President's son of a bitch ».

Le même jour, l'attorney general Richard Kleindienst démissionne également, à cause de ses liens personnels avec certains acteurs impliqués dans l'affaire, et est remplacé par le secrétaire à la Défense Elliot Richardson. Le soir-même, dans un discours à la télévision, Nixon assure que toute la lumière sera faite sur l'affaire du Watergate, et que la loi sera modifiée pour prévenir tout abus dans le financement des campagnes électorales. Il fait l'éloge de Haldeman et Ehrlichman, mais n'en dit pas autant sur John Dean, dont il annonce la démission sans que l'intéressé n'ait été mis au courant.

Le lendemain, le porte-parole de la Maison-BlancheRon Ziegler, présente ses excuses au Washington Post, à Woodward et à Bernstein, en reconnaissant ses « emportements dans [ses] commentaires » à leur égard les mois précédents. En dépit de ces gestes de contrition, l'intervention télévisée du président n'a pas eu l'effet escompté. Pour la première fois, des voix commencent à évoquer l'éventualité de l'impeachment, la procédure de destitution du président, qui depuis janvier a perdu 20 points dans les sondages.

Dans les jours qui suivent, les révélations s'enchaînent devant la commission sénatoriale sur le Watergate. Richard Helms, ancien directeur de la CIA jusqu'en février 1973, raconte comment Haldeman et Ehrlichman ont exercé des pressions en juin 1972 pour que la CIA incite le FBI à arrêter l'enquête sur la tentative de cambriolage, ce en quoi Helms s'est montré réticent. D'autres dirigeants de la CIA expliquent qu'Ehrlichman a demandé l'assistance technique de la CIA pour certains coups de l'« équipe des plombiers ».

Herb Kalmbach, l'avocat de Nixon, reconnaît avoir détruit toute trace de contributions de campagne irrégulières pour un montant de 20 millions de dollars. Hugh Sloan, l'ancien trésorier du Comité pour la réélection du président, avoue pour sa part avoir effacé les preuves de 2 millions de dollars de contributions en liquide destinés à financer des opérations clandestines. Pendant ce temps, à New York, John Mitchell et Maurice Stans, le principal collecteur de fonds pour Nixon, sont inculpés devant un jury fédéral, accusés de fausses déclarations dans une enquête sur les relations financières du CRP avec Robert Vesco, homme d'affaires véreux et fugitif au Costa Rica.

De son côté, John Dean remet au juge John Sirica des documents confidentiels, dont une copie du plan Huston. Ce plan avait été conçu en 1970 par Tom Huston, un jeune militant conservateur qui avait été chargé, par Haldeman et Ehrlichman, d'animer, à la Maison-Blanche, un Comité de coordination de la Sécurité. Huston proposait un plan de lutte contre les mouvements dissidents, par des pratiques d'espionnage intérieur sans s'encombrer de mandats de la Justice. Ces méthodes incluaient la surveillance électronique, l'ouverture du courrier, les effractions, le vol de documents, etc. Face aux objections du FBI, et en particulier de John Edgar Hoover, le plan n'a pas été adopté officiellement mais néanmoins appliqué en pratique. Cette coopération de Dean avec la Justice est considérée à la Maison-Blanche comme une véritable trahison.

Les dispositifs de l'accusation prennent de l'ampleur.

À partir du 17 mai, les audiences de la commission sénatoriale sur le Watergate se déroulent en public, et sont retransmises par la télévision en direct dans des dizaines de millions de foyers américains sous l'appellation de Watergate Hearings. L'opinion publique commence alors à se passionner pour les multiples rebondissements qui se succèdent et qui révèlent un aspect inconnu des pratiques de l'institution suprême considérée jusqu'alors avec une certaine révérence. Le président de la commission Sam Ervin devient rapidement un personnage populaire par sa façon rusée d'acculer les témoins dans leurs retranchements, et de déjouer les manœuvres de leurs avocats.

Le 18 mai, l'attorney general fraîchement promu Elliot Richardson, malgré les réticences de Nixon, nomme un procureur spéciale (en) indépendant pour enquêter sur le Watergate. 

Archibald Cox

Par Photo taken from his biography at the website of the en:United States Solicitor General: [1]Previously at en.wikipedia; description page is/was here; 2005-09-08 upload date by Kayaker at en.wikipedia, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1811185

Archibald Cox, ancien no 3 du département de la Justice sous Kennedy, accepte ce poste le 18 mai 1973. Sa mission inclut les enquêtes sur l'affaire du Watergate et les tentatives pour l'étouffer (le cover up), sur l'ensemble des activités de l'« équipe des plombiers », et sur le financement du Comité pour la réélection du président.

Nixon tente désespérément de redorer son image par une campagne de communication. Le 22 mai, il fait distribuer une déclaration dans laquelle il tente de justifier les activités illégales qui ont été commises en son nom, en affirmant qu'elles l'ont été à son insu, qu'il s'agissait de lutter contre le climat insurrectionnel et contre les fuites menaçant la sécurité nationale. Deux jours plus tard, il préside une gigantesque cérémonie en l'honneur des prisonniers de guerre rentrés du Nord-Viêt Nam. Il souhaite également se défendre en accusant les démocrates d'avoir fait pire quand ils étaient au pouvoir, mais ses nouveaux conseillers sont moins réceptifs que leurs prédécesseurs à ce type de méthode.

La chute du président

Nixon ne cesse de plaider son innocence, plaidée jusqu'au bout par son porte-parole et conseiller en communication Ron Ziegler. Le 17 novembre 1973, le président avait prononcé un discours célèbre, déclarant : « Je ne suis pas un escroc » (« I am not a crook »). En 1952, alors qu'il figurait sur le ticket électoral du futur président Eisenhower, Nixon avait déjà dû se défendre dans un discours télévisé d'accusations de malversations financières et de pot-de-vin. En 1973, le président faisait cette fois référence à la publication dans la presse peu auparavant de ses feuilles d'imposition, ce qui avait révélé qu'il ne payait quasiment aucun impôt sur le revenu. Cela pouvait être légal compte tenu du jeu des déductions fiscales, mais ternissait encore davantage son image. Cependant, entre la fin de 1973 et l'été 1974, plusieurs affaires, liées ou non au Watergate, concernant Nixon lui-même ou son entourage, brossent par médias interposés le tableau d'une corruption généralisée, et donnent de la présidence une image dévastatrice.

 Le 10 octobre 1973, le vice-président Spiro Agnew, ancien gouverneur du Maryland, a été obligé de démissionner. Une affaire de corruption locale l'a rattrapé ; il est accusé d'avoir touché des pots-de-vin lors de sa carrière politique dans cet État. Le chef de la minorité républicaine à la Chambre des représentants, Gerald Ford, a été choisi pour le remplacer, et confirmé par le Congrès.

La presse et les commissions d'enquêtes du Congrès s'intéressent aussi de près, depuis le printemps 1973, aux conditions d'acquisition des luxueuses propriétés de Nixon à San Clemente en Californie, et à Key Biscayne en Floride. Pour obtenir le prêt nécessaire à ces achats, le président s'est endetté auprès d'amis intimes, les hommes d'affaires Charles "Bebe" Rebozo (en) et Robert Abplanalp (en). Il est aussi question des travaux que Nixon a fait réaliser pour plusieurs millions de dollars aux frais du contribuable dans ces propriétés, en grande partie pour les systèmes de sécurité et de communications. Début avril 1974, l'administration des impôts et une commission du Congrès terminent leurs examens des déclarations de revenu du président, et concluent qu'il doit près de 470 000 dollars au fisc.

D'autres affaires compliquent la situation du président. Une enquête, ouverte en 1972, sur une contribution électorale de l'industrie laitière de 2 millions de dollars en échange d'une politique de soutien des prix du lait, n'est toujours pas terminée. Une autre contribution à la campagne de 1972 est examinée, celle de l'International Telephone and Telegraph (400 000 dollars), en échange du soutien du Département de la Justice sur une affaire dans laquelle la compagnie tombait sous le coup de la loi antitrust. Dans l'affaire Robert Vesco, pour laquelle John Mitchell et Maurice Stans ont déjà été inculpés, Nixon est de plus en plus mis en cause, du fait des relations de ses frères, Donald et Edward, avec ce contributeur financier poursuivi par la justice pour fraude. Plusieurs grosses entreprises sont encore épinglées pour leurs contributions illégales au Comité pour la réélection du président : American AirlinesBraniff InternationalGulf OilGoodyear3M, etc.

Son ami Bebe Rebozo est quant à lui convoqué à de nombreuses reprises par les différentes instances enquêtant sur le Watergate et le financement de la campagne électorale de 1972. Les enquêteurs s'intéressent au versement de 100 000 dollars en liquide à Rebozo, pour la réélection de Nixon, par un collaborateur du milliardaire Howard Hughes. Les relations financières entre Nixon et Hughes étaient anciennes, et lui avaient déjà été reprochées en 1960. Cette enquête ne sera pas menée à son terme. Plusieurs anciens collaborateurs de Nixon écriront plus tard que l'origine du cambriolage du Watergate était la crainte de Nixon que le dirigeant démocrate Larry O'Brien soit en possession de documents compromettants sur ses liens avec Hughes. Néanmoins, les raisons expliquant l'espionnage du Parti démocrate n'ont jamais été clairement établies, d'autant plus que l'élection de Nixon, largement assurée (il remportera 48 des 50 États), semblait à l'abri de tous les coups bas de la campagne et ne justifiait ainsi aucun espionnage. Selon Georges Ayache, historien spécialiste des États-Unis, c'est sa défaite à l'élection présidentielle américaine de 1960 qui a fait naître en lui un complexe envers les Kennedy et une paranoïa qui le fait espionner aussi bien ses adversaires politiques que des journalistes.

Fin juillet, début août, les rumeurs les plus folles courent à Washington : le président aurait perdu la tête, il préparerait un coup d'État militaire, etc. Nixon ne cesse de tergiverser, mais il sait pertinemment depuis le verdict de la Cour suprême que la seule alternative est la démission ou la destitution. Le président tente jusqu'au bout d'agir comme s'il se situait au-dessus de la mêlée, en traitant le dialogue avec les Soviétiques, la crise pétrolière, le problème grandissant de l'inflation, etc. Au fur et à mesure des révélations, des foules de plus en plus nombreuses se sont présentées devant les grilles de la Maison-Blanche ou au cours des déplacements du président, pour réclamer son départ. Des considérations matérielles non avouées entrent aussi en ligne de compte. En cas de destitution, il perdra les pensions et les divers privilèges accordés aux anciens présidents, et il sera exposé aux poursuites judiciaires sans possibilité de pardon.

Après s'être farouchement défendu, Nixon préfère donc donner sa démission. Il l'annonce par un discours télévisé le soir du 8 août. Après un discours devant le personnel de la Maison-Blanche et les journalistes, il quitte en direct la Maison-Blanche à bord d'Army One, l'hélicoptère présidentiel de l'US Army. Nixon est le seul président de l'histoire des États-Unis à avoir démissionné. Il quitte officiellement ses fonctions le 9 août 1974, une semaine après le déclenchement de la procédure d'impeachment.

Le vice-présidentGerald Ford, nommé par Nixon (et non élu) lui succède immédiatement. Sa première action officielle, très controversée, est de gracier Richard Nixon, ce qui a pour effet de stopper toute procédure. Quant aux enregistrements qui ont suscité d'interminables batailles juridiques, le président Ford en donne le contrôle à Nixon, qui est le seul habilité à donner les autorisations pour leurs consultations.

La vidéo sur l'affaire Watergate

bottom of page